“ home sweet home ”

Du sang sur les mains. J’ai beau porter des gants à chaque fois, j’ai toujours l’impression de ressortir avec du sang sur les mains. Loin du meurtre, loin du crime, plutôt l’inverse en vérité. Sauver une vie ou l'a changer, la bonne action de chaque jour de la mienne. Chaque nouvelle journée est une bombe de sentiments et de frustration. Chaque jour dans le métro, mon visage est effacé de tout sourire, mon esprit hanté de pensés qui prennent bien plus de place qu’elles ne devraient. Un esprit fort dans un corps fragile qui cherche à s’endurcir. Un esprit qui, une fois avoir passé le seuil de la maison, s’éveille avec joie et fraîcheur, comme si j’avais passé ma journée sous le soleil, allongé sur l’herbe à siroter du vin. Savoir que je vais retrouver mon nid douillet, savoir que je vais revoir le visage de Leo et la bouille mémorable de sa petite sœur, ça réveille en moi tout ce qu’il y a de mieux. Du moins presque, sans prétention. Passer le seuil de la porte et faire signe de ma présence. « YO ! » Mon sac sur le dos fini très vite balancé sur le canapé. Passage inévitable à la cuisine, l’heure de l’apéro qui se laisse sentir. Ma main, propre et ferme qui empoigne la bouteille du frigo et se sert d’une bouteille de bière fraîche. Sourire angélique, pas entraînants, je me dirige vers Leo, dos à moi, assied sur le canapé. Je me penche tandis que mes deux bras viennent faire le tour de son cou. Une main tenant la bouteille, l’autre attrape fermement son épaule d’une poignée de bonhomme tandis que mon visage vient se poser à côté du sien. « Je te fais pas de bisou, c’est l’heure de la bière, tout le monde sait que c’est plus important. » Tond sérieux, mais plaisantin. Je sourie avant de me reculer et de prendre place sur le fauteuil en face de lui. Je me pose comme un météorite se poserait sur la Terre, à deux doigts de voir une goutte s’éjecter de la bouteille. Jambes l’une sur l’autre, posées sur l’accoudoir, je bois enfin une gorgée fraîche de ma bière. Expiration forte, enfin soulagé d’avoir rafraîchis ma gorge, soulagé d’être posé et rentré, je fixe mon ami. Main de passage dans mes cheveux longs, je déclare finalement. « Ça allait ta journée ? » Banal, mais ça n’empêche qu’on ne l’ai pas du tout.

“ home sweet home ”

Changer soudainement de sentiment, comme changer d’univers et avoir utiliser la porte pour un voyage dans l’espace temps. Il ne s’agit pas de cacher ses véritables sentiments et d’avancer sur un terrain hypocrite. Il s’agit juste d’adapter ses pas à un environnement amicale, motivant, voir même familiale. Leo sait. Il sait très bien que mes journées ne sont pas simple et que la dernière chose que je souhaite en rentrant du travail, c’est qu’on me les brise avec des questions barbantes et terribles à son sujet. Qui est mort ? Non, ta gueule, juste ta gueule. J’en parlerais quand j’en aurais envie. Alors cette bière, ce saut sur le fauteuil, cette position irrespectueuse, tout ce qui provoque un Leo qui n’a pas eu le droit à un bisou déjà de nature exceptionnel, c’est moi. C’est simplement moi. Ce bisou, ma joue y a eu le droit. Autant adorable qu’à claquer. Quand il me fait un bisou sur la joue, je ne sais jamais si c’est affectif ou tout simplement pour me taquiner. Dans tous les cas, j’ai envie de lui sauter dessus et de l’étouffer avec un coussin. Affectif ou violent, à vous décider, je n’ai jamais le juste milieu. Mon regard est la seule chose qui ne trahit pas ma dure journée de labeur, et il est en ce moment posé sur mon meilleur ami. Question banale, réponse banale. Une affaire classée, tant mieux. Chose à laquelle j’hausse la tête à plusieurs reprises et lui offre une mine satisfaite, des félicitations encrés dans un mouvement de mes lèvres vers le bas. Une gorgée de ma bière et je lâche des mots au plus simple. « Bravo Captain ! » Une pause, marquée par une seconde gorgée de ma part, et je réponds au retour de ma question. « Oh moi, c’était…sanglant. Pour pas changer ! » Tête qui penche d’un côté, lèvres qui se rentrent à moitié à l’arrivée d’un énième petit sourire. Je ne veux pas en parler plus que ça. Là, tout ce que je vois en dehors des petits yeux noisette de Leo, c’est le reflet de sa série à l’intérieur de ceux-ci. Je suis loin de vouloir déranger son petit confort. Mais je sais qu’il se fiche d’avoir à le lâcher s’il s’agit de moi, ou une autre, qui sait. Et puis même, je viens de rentrer, j’ai bien le droit de vivre non ? « Tu peux regarder tu sais, t’embête pas. Je me fais à bouffer puis je pense que je fais pareil. » A ses paroles, je commence à me lever du fauteil, le visage orné d'un sourire en coin, le regard sincère vers le sien. No problem bro.

“ home sweet home ”

Retourner à la cuisine, laisser mon ami dans ses petites affaires, penser à ce que je vais bien pouvoir me préparer à manger. Pensées réfléchis, mains sur le comptoir, la voix de Leonel revient à moi. Le gaillard a un truc à me dire ? Des mots qui me font tourner la tête et froncer les sourcils tandis qu’il suit mes pas. Il se répète une fois encore, caché derrière la porte du frigo. Mes sourcils déjà froncés, l’un d’eux se hausse, accompagné d’un petit rictus au bord des lèvres. C’est le genre de paroles qui donnent envie de s’imaginer le pire. Mais là, je n’ai même pas la force d’imaginer cette possibilité. Deux bières sortent tout juste du frigo, la trace des mains de Leonel posés sur la buée qui ornent celles-ci. Je me pince les lèvres une seconde à la suite de sa question. Tout en posant le cadavre bien hâtif de ma bière, j’hausse mes deux sourcils, le regard encré dans le sien. Est-ce qu’il me pose cette question parce qu’il a trouvé quelqu’un, ou juste parce qu’il y tient ? Yeux baissés vers la bouteille fraîche que j’extirpe de ses mains, je réponds finalement à sa question suspecte, sans beaucoup de sérieux ceci dit. « Trouves un beau gosse munit d’abdos et de jolis yeux verts, et je dis oui ! » Sourire au bord des lèvres, je passe derrière lui tout en ouvrant ma bouteille, avant de prendre place sur l’une des chaises hautes du bar. Répondre à la question sans vraiment y répondre, en rigoler mais penser malgré tout ce que je viens de dire. Une gorgée dans ma bouteille non entamée, et je réplique à nouveau. « Non sérieux, pourquoi tu me demande ça ? Tu veux un nouveau coloc', c’est ça que tu voulais me dire ? » En fait, je n’ai toujours pas répondu à sa question. Je suis bien en ce moment, dans mon quotidien, avec ceux que je considère comme une famille. Je ne veux pas qu’un autre individu vienne tout perturber. Mais si ça peut me permettre de payer moins cher, voilà le seul avantage que j’y vois. Je cherche son regard, comme si je voulais y lire à l’intérieur. Vas y Leo, balance moi tout ce que tu sais, tout ce que tu veux.